Qu’il doit être agréable de voir le monde d’en haut. Voler. Sentir l’air pur glisser dans ses cheveux. Se laisser guider par les vents puis d’un seul mouvement de la main changer de direction. Regarder en bas. Voir les hommes petits, nombreux mais si petits… Être en apesanteur, s’enivrer d’un oxygène débarrassé des particules fines. Planer totalement. Qu’il doit être doux d’être le gouvernement !
Ou un de ses représentants. C’est la fonction d’un préfet. Il représente l’État dans les départements. Nous avons la chance et l’honneur de le rencontrer lorsqu’il décide de se poser parmi nous lors des CDEN. Les CDEN sont les conseils départementaux de l’éducation nationale. On y parle école, fermetures de classe, suppressions de postes mais aussi intégration des élèves allophones ou transports scolaires. On y parle concret, on y parle du terrain, on vole moins, on marche, on piétine même : quel ennui !
Il faut même écouter les représentant·e·s des enseignant·e·s nous lire leur déclarations liminaires. Ces déclarations débutent traditionnellement les CDEN. Les représentant·e·s des syndicats enseignants lisent un texte préparé à partir des remontées de chaque école et établissement. Ces déclarations font le lien entre la politique du ministère et ses retombées sur les écoles plus localement. Ces lectures prennent en moyenne deux-trois minutes. C’est trop long pour le préfet en ce 2 février 2023. La barbe à la fin ! Le préfet nous demande donc de ne pas lire la partie de nos déclarations qui concernent le national et la politique du gouvernement. Nous sommes surpris de cette demande mais lisons quand même nos déclarations…
Lors des CDEN, le directeur académique nous transmet habituellement les documents de travail qui permettent d’établir les prévisions d’effectifs qui justifient les ouvertures et fermetures de classe. Ces documents permettent aux représentant·e·s des enseignant·e·s de mesurer très concrètement l’évolution des baisses de moyens et leur justification. Le directeur académique ne nous les a pas transmis et n’estime pas nécessaire de le faire. Sans ces documents de travail notre rôle est empêché. Tout nous semble approximatif et flou de la part de ce nouveau DASEN. Floue et approximative, c’est la vue qu’on doit avoir quand on est dans les airs…
C’est peut-être par les airs que le préfet et sa famille ont rejoint la Slovaquie il y a quelques années. Nous avons informé le préfet que les moyens alloués aux élèves allophones étaient très insuffisants. Nous avons insisté sur le fait que les élèves ukrainiens notamment arrivant de zone de guerre n’avaient pas acquis suffisamment le Français après une année pour suivre une scolarité normale. Que, même si cela était difficile relevait de notre responsabilité. Qu’il fallait d’urgence augmenter le nombre d’heures de Français langues étrangères et les dispositifs pour les accueillir. La réponse du préfet a été… lunaire. Il nous a raconté pour justifier le manque de moyens que le plus important était le bain de langage. Que lui et sa famille étaient partis il y a quelques années en Slovaquie. Que ses enfants sont devenus bilingues et même trilingues en quelques mois. Cette réponse venue du ciel a manqué de nous faire tomber de notre chaise.
Nous écrivons ces lignes quelques heures à peine après l’utilisation du 49’3 par Elisabeth Borne. Au niveau départemental comme au niveau national la pratique du pouvoir est de plus en plus verticale. Les ordres doivent faire loi quel que soit l’avis de la population. Cet exemple du CDEN peut sembler anecdotique mais il est révélateur d’un pouvoir qui n’écoute plus du tout les remontées d’en bas. Un pouvoir hors-sol. Un pouvoir qui plane. L’important visiblement pour eux n’est pas la chute mais un atterrissage qui risque d’être difficile. Organisons leur… et sans parachute !